Aborder la question des achats liés aux systèmes d’information requiert aujourd’hui de dépasser la seule considération de la performance économique ou fonctionnelle. Que recouvre réellement la notion d’achats responsables dans le contexte des DSI, et comment en définir les contours ?

Sommaire
1. Les enjeux liés aux achats responsables dans les systèmes d'informations
Les systèmes d’information (SI) ont un poids environnemental et social considérable. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le « numérique » est loin d’être immatériel. Les équipements (PC, serveurs, routeurs, smartphones, …) nécessitent des ressources rares, polluantes à extraire (terres rares, lithium, cobalt). Les conditions de production de certains composants technologiques soulèvent des interrogations quant à la juste rémunération des travailleurs et au respect des standards internationaux du travail.
Par ailleurs, les produits technologiques (logiciels, applications, etc.) engendrent une consommation significative, souvent méconnue du grand public.
Aborder les achats liés aux systèmes d’information requiert aujourd’hui de dépasser la seule considération de la performance économique ou fonctionnelle. Cela implique une prise en compte globale des principes, objectifs et domaines d’application de l’achat responsable dans le secteur numérique.
Ce cadre permet d’appréhender la diversité des impacts, qu’ils soient environnementaux, sociaux ou stratégiques, et d’examiner les leviers dont disposent les organisations pour y répondre efficacement.
La réussite de cet engagement repose ainsi sur une gouvernance capable d’englober toutes les composantes des systèmes d’information, y compris les prestations immatérielles et les logiciels, trop souvent négligés dans les approches traditionnelles.
Adrien RAQUE, associé iQo - expert Tech for Business
2. Qu'est-ce qu'un achat responsable en SI ?
Les achats responsables dans les SI sont une approche visant à répondre à un triptyque vertueux.
- Minimiser les impacts négatifs (environnementaux, sociaux) liés à l’achat, l’utilisation et la fin de vie des solutions IT.
- Choisir les bons partenaires : ceux qui respectent des standards sociaux et environnementaux crédibles.
- Optimiser le cycle de vie : acheter mieux, consommer moins, allonger la durée d’usage et réemployer.
3. Les enjeux environnementaux : au cœur du scope 3
Souvent considérés comme immatériels ou invisibles, les systèmes d’information ont en réalité un impact environnemental majeur, largement sous-estimé dans les bilans carbones des organisations. Selon The Shift Project (2019), le numérique est responsable de 3,5 à 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, une part équivalente à celle de l’aviation civile, et en constante augmentation.
L’empreinte environnementale ne se limite pas à l’usage : 80 % des émissions liées à un ordinateur portable sont générées dès sa fabrication, comme le rappelle l’ADEME (2022).
Les matériaux nécessaires, souvent extraits dans des conditions intensives, et les processus industriels généralement énergivores, alourdissent considérablement l’impact en amont de l’usage. Par ailleurs, les infrastructures de traitement et de stockage des données, notamment les data centers, sont des consommateurs majeurs d’électricité. D’après l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA), leur consommation mondiale pourrait plus que doubler d’ici 2030, portée notamment par la croissance du cloud et des applications d’intelligence artificielle.
Le scope 3 est aujourd’hui le principal contributeur à l’empreinte carbone numérique des entreprises, et aussi le plus difficile à maîtriser, car il échappe souvent à leur contrôle direct.
Mathieu FAUBERT, senior manager iQo - expert Tech for Business
Au sein des organisations, ces impacts relèvent majoritairement du scope 3, c’est-à-dire des émissions indirectes générées par les activités des fournisseurs et prestataires. Cela inclut l’ensemble du cycle de vie des équipements (fabrication, transport, usage, fin de vie), mais aussi les services numériques utilisés, tels que les solutions SaaS, les services cloud ou les applications métier.
Le scope 3 est aujourd’hui le principal contributeur à l’empreinte carbone numérique des entreprises, et aussi le plus difficile à maîtriser, car il échappe souvent à leur contrôle direct. Pourtant, tout achat de matériel informatique, tout abonnement logiciel ou toute externalisation IT a un impact mesurable, même lorsqu’il est délégué à un tiers. C’est pourquoi une stratégie d’achat responsable dans les systèmes d’information ne peut ignorer cette dimension : elle doit viser à rendre visibles ces externalités, à les quantifier, et à les intégrer systématiquement dans les critères de sélection et d’arbitrage.
4. Les enjeux sociaux : des chaînes complexes et souvent opaques
Les achats dans les systèmes d’information, en particulier lorsqu’il s’agit de matériel ou de prestations offshore, sont souvent réalisés à distance. Cet éloignement rend difficile la maîtrise des conditions sociales dans lesquelles les produits et services sont conçus, produits ou exécutés. Pourtant, les enjeux sont majeurs. Des rapports comme celui de SOMO (2016) ont mis en lumière des conditions de travail dégradées dans les usines de fabrication de composants électroniques, dont les ouvriers sont exposés à des substances toxiques, sans protection adéquate, et contraints à des cadences de travail soutenues.
En amont de la chaîne
En amont de la chaine, l’extraction de ressources comme le cobalt – essentiel à la fabrication des batteries lithium-ion – reste, dans plusieurs zones d’exploitation, associée à des conditions de travail précaires, à l’absence de réglementation stricte et à l’exploitation de mineurs.
Ces risques sociaux ne se limitent pas aux seules produits et matières premières : ils concernent également les prestations intellectuelles externalisées. Ainsi, le développement applicatif à bas coût fait souvent l’objet de critiques.
Les logiques de sous-traitance non maîtrisée, souvent en cascade, peuvent mener à des pertes de contrôle sur la qualité, la sécurité des données et le respect des droits fondamentaux.
En aval de la chaîne
En aval, l’impact social est susceptible de se manifester dans l’usage : des logiciels, parfois non accessibles ou mal conçus, peuvent exclure une partie des utilisateurs, notamment les publics vulnérables, tels que les personnes en situation de handicap ou confrontées à une fracture numérique.
Dans ce contexte, une politique d’achat responsable se doit d’inclure une vigilance accrue sur les pratiques sociales des fournisseurs, qu’il s’agisse d’un fabricant de matériel, d’un intégrateur ou d’un prestataire de développement. Cette vigilance ne peut se limiter à des déclarations : elle suppose une connaissance approfondie des chaînes de valeur, des clauses contractuelles engageantes, et des outils de suivi comme les audits sociaux, les chartes fournisseurs, ou les certifications reconnues. Il s’agit de s’assurer que la performance technologique ne se fait pas au détriment des droits humains fondamentaux.
5. Les enjeux de cybersécurité et souveraineté
L’achat de solutions digitales pose également des questions de souveraineté des données et de cybersécurité. Souscrire un service cloud mal maîtrisé peut exposer des données sensibles à des juridictions étrangères ou à des risques techniques importants.
Ainsi, un achat responsable doit inclure des garanties de localisation des données, de conformité RGPD et de sécurité des infrastructures utilisées.
Les achats responsables répondent donc à des exigences de :
- Souveraineté des données (hébergement France/UE, conformité RGPD),
- Cybersécurité vérifiée (ISO 27001, audits réguliers),
- Transparence technique (open source, auditabilité).
6. Gouvernance : ce que l’achat dit de l’organisation
La maturité d’une organisation se manifeste souvent à travers les arbitrages qu’elle opère lors des décisions d’achat SI. Intégrer la sobriété numérique dans les décisions, favoriser des solutions adaptées aux besoins réels plutôt que les technologies les plus visibles, ou encore structurer un dialogue entre la direction des achats, la DSI et les fonctions RSE, sont autant d’éléments qui révèlent une gouvernance responsable.
Cela implique également de disposer d’outils de suivi et de bâtir une cartographie des postes d’achat SI intégrant des indicateurs de performance ESG.
Le pilotage de la performance achat, qu’elle soit financière ou extra-financière, est un levier central pour l’optimisation continue des systèmes d’informations. Pour cela, il est essentiel de s’appuyer sur des outils de mesure fiables permettant de suivre des indicateurs clés tels que les émissions du Scope 3, la concentration fournisseurs ou encore le coût total de possession. Mais ce suivi ne relève pas uniquement de la fonction achats : la DSI revêt également un rôle structurant à jouer.
En recentrant les décisions sur des besoins réels et clairement définis, plutôt que sur des demandes systématiques ou excessives, la DSI favorise une évaluation plus pertinente des efforts engagés et de la valeur réellement créée. Cette approche conjointe favorise un pilotage pragmatique et orienté vers les impacts, plutôt que vers la simple conformité.
Mathieu FAUBERT, senior manager iQo - expert Tech for Business
7. Prestations intellectuelles et logiciels : les oubliés du Green IT
Souvent absents des démarches de sobriété numérique, les services liés aux prestations intellectuelles ont pourtant un impact considérable. Le développement de logiciels, la maintenance applicative, la gestion des infrastructures, les projets liés au cloud ainsi que l’intégration de solutions logicielles constituent autant de services mobilisant des ressources significatives. Ces activités engendrent une consommation énergétique importante, notamment en raison des phases de tests, des environnements de développement et de l’utilisation des services cloud. Par ailleurs, elles participent à l’accumulation d’une dette technique, laquelle complexifie la maintenance et accélère le processus d’obsolescence. Or, cette dette, si elle n’est pas maîtrisée, devient un facteur d’inefficience à long terme, tant en termes de performance que d’impact environnemental.
Une stratégie d’achat responsable dans les SI doit donc impérativement inclure des critères d’écoconception logicielle, c’est-à-dire encourager des pratiques de développement sobres, évolutives et efficientes.
Cela passe aussi par la sélection de prestataires capables de s’engager sur des objectifs mesurables de sobriété numérique, en intégrant ces critères dès les appels d’offres.
En complément, il est essentiel de promouvoir une approche fondée sur l’usage réel, en limitant les fonctionnalités superflues, en favorisant la modularité des solutions, et en réduisant le recours à des technologies énergivores lorsque leur utilité n’est pas démontrée. Les nouveaux modes de travails, comme l’agilité à l’échelle et une orientation autour d’une approche produit plutôt que le traditionnel catalogue de service favorise ces démarches. Ce recentrage sur la frugalité et la valeur d’usage permet de mieux aligner les services numériques avec les objectifs environnementaux et économiques de l’entreprise.
8. Quelles sont les actions concrètes à mettre en place pour des achats responsables dans les SI ?
Pour agir concrètement, il est important de former les prescripteurs à la sobriété numérique, d’intégrer des exigences sociales et environnementales dans les cahiers des charges, et d’exiger des engagements mesurables de la part des fournisseurs.
Il n’est pas rare au sein des fonctions achats de retrouver les principes de co-innovations permettant d’orienter les feuilles de route de développements produits des fournisseurs autour des besoins des principaux clients.
Lors des appels d’offres, il faut aller au-delà du prix d’achat immédiat et considérer le coût global, incluant l’impact environnemental, la durée de vie, la maintenance et la fin de vie des équipements.
Enfin, le suivi des engagements doit être structuré, avec des indicateurs permettant d’évaluer l’efficacité réelle de la démarche dans le temps.
En conclusion
Les achats responsables appliqués aux systèmes d’information représentent un levier stratégique de performance.
À l’heure où les dirigeants appellent à plus de sobriété et de responsabilité de la part des entreprises, la réponse privilégiée demeure souvent la transformation digitale. Pourtant, les entreprises négligent fréquemment les impacts réels des systèmes d’information.
Pour certaines organisations, où la fonction achat est encore peu mature, concilier performance des achats et performance du système d’information peut sembler complexe. Pourtant, c’est précisément en remontant à la source des dysfonctionnements que des solutions durables peuvent émerger.
Parmi les questions clés à se poser :
- Pourquoi la consommation des systèmes d’information, notamment en émissions indirectes de scope 3, est-elle plus élevée par équivalent temps plein (ETP) dans certaines entités ?
- Quels sont les facteurs structurels qui empêchent une gestion efficiente des ressources IT ?
- Comment garantir que les choix technologiques adoptés correspondent effectivement aux besoins réels des métiers ?
L’analyse des causes racines met souvent en lumière :
- Une organisation SI mal alignée avec les attentes des métiers ;
- Des compétences mal positionnées ;
- Un modèle opérationnel (operating model) qui ne s’aligne pas avec le fonctionnement global de l’entreprise. Un manque de coordination entre la DSI et les métiers, notamment dans la définition et la gestion des produits.

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